Enfer d’école : jeudi
Angèle
Mme N’Moga n’a pas dû réussir à emmener Randa jusqu’à l’école. Elle n’est pas présente aujourd’hui. Dommage, je n’aurai pas le plaisir de l’enquiquiner. Il va falloir que je trouve autre chose pour amuser les copines. Quoique, même absente, je peux bien me moquer d’elle. Allez, une petite blague pour commencer la journée dans la bonne humeur.
« Eh, vous croyez que la chouchoute intello, elle a tellement regardé son livre que ses yeux ils font grève et ils n’ont pas voulu s’ouvrir ce matin ! »
Mme Senon
« Angèle, tais-toi. »
Je ne sais pas ce qu’elle raconte à ses camarades, mais elle ne va commencer la journée par papoter.
Mon téléphone sonne. « Mme N’Moga » s’affiche sur l’écran. Je ne réponds pas en règle générale. L’absence de Randa est inhabituelle. Cela me semble important de décrocher. D’un doigt sur la bouche je fais signe aux élèves de se taire.
« Bonjour Mme N’Moga. »
Mme N’Moga
« Mme Senon, Randa ne veut vraiment plus revenir à l’école. Elle a explosé ce matin. D’abord de colère en étant particulièrement irrespectueuse. Puis, une crise de larmes. Confusément, elle m’a raconté qu’elle était nulle, qu’elle ne valait rien, que tout le monde la détestait. Elle nous en veut aussi de n’avoir rien compris. Elle m’a dit vouloir mourir plutôt que de devoir se retrouver en face d’Angèle et ses copines. Je suis désemparée, je ne sais pas quoi faire. »
J’ai lâché tout d’une traite. Si je m’étais arrêtée, je me serais effondrée à mon tour. Mme Senon semble également sous le choc et prend quelques secondes avant de réagir.
« Je vous propose d’essayer d’emmener Randa à l’école pendant la récréation juste pour qu’elle puisse me parler et que je puisse l’écouter. Le reste de la classe sera dehors. Après, elle pourra repartir à la maison. »
Je ne sais pas trop comment je vais m’y prendre pour convaincre Randa. Sûrement une des missions les plus compliquées de ma vie de mère. Je n’ai pas le choix. Je dois la mener à bien. Je ne peux pas laisser la situation telle quelle. Ma fille est en danger. Et je me sens profondément responsable de ne pas avoir compris le problème de moi-même.
Fatima
Mme N’Moga doit essayer de ramener Randa à la récréation. Pendant que nous ne serons pas en classe. Pourquoi la maitresse lui a-t-elle demandé cela ? Pourquoi Randa n’est-elle pas venue ?
Mme Senon ne nous donne pas plus d’explications. Après avoir raccroché, elle poursuit machinalement son cours de grammaire sur les articles définis. Même si elle est physiquement avec nous, son esprit semble ailleurs. Elle continue ainsi jusqu’à la récréation. Elle nous confie à la maitresse des CP qui nous demande de nous ranger avec sa classe. Je traine en dernière position dans l’espoir d’apercevoir Randa.
Randa
Fatima est la seule que j’entrevois. Enfin, je reconnais ses cheveux et son manteau au loin, au bout du couloir près de la sortie de la cour de récréation.
Maman et Mme Senon ont tenu leur promesse. Je n’ai pas à me retrouver face à face avec Angèle ou les filles de son groupe. Je ne verrai que la maitresse. Je ne voulais surtout pas devoir affronter la moindre de ces élèves de la classe. Sans cette garantie-là, je ne serais pas venue.
Nous nous installons dans la classe. La maitresse prend la parole en premier.
« Tout d’abord, je tiens à te présenter mes excuses Randa pour ne pas avoir compris ce qui t’arrivais, ne pas avoir su être plus attentive. Est-ce que tu pourrais m’expliquer maintenant tout ce qui t’est arrivé pour qu’on essaie ensemble de voir comment t’aider ? »
Ses premiers mots sont des excuses, je ne m’y attendais pas. Ce n’est donc peut-être pas moi la responsable de cette situation. C’est la première fois qu’on me dit qu’on veut bien m’écouter. Alors je prends une grande respiration et je raconte tout : les moqueries, les insultes, les vols, les brimades, l’isolement, les rabaissements…
Je raconte toutes ces petites choses qui séparément n’ont pas beaucoup d’importance. Mais répétés tous les jours, sans interruption ces actes m’ont détruite petit à petit.
Au bout de mon récit, la maitresse reprend la parole.
« Ce qu’ils t’ont fait subir s’appelle du harcèlement. C’est très grave. Ce n’est pas toi le problème, mais c’est leur comportement. Je vais rencontrer chacune des élèves concernées après la récréation. Je vais tout faire pour que la situation change. Et toi, tu reviens dès demain matin à l’école. »
Je suis perplexe, un peu perdue. Je ne sais quoi penser. Une partie de moi se raccroche à l’espoir que font naitre ces paroles. Une autre est plus pessimiste (ou réaliste ?). Comment les choses pourraient-elles changer ? Les autres ont l’air de tellement bien rire sans moi… de moi.
Avant que nous partions, Mme Senon s’excuse de nouveau de ne pas avoir pris au sérieux les différents signaux d’alerte. Nous rentrons à la maison. Même après cette discussion, je ne me sens pas prête à les voir face à moi. J’angoisse pour demain.
Fatima
Randa doit déjà être repartie avant même que nous rentrions de récréation. Mme Senon nous laisse à peine le temps de nous installer. Elle nous annonce que nous allons être répartis dans les différentes classes de l’école jusqu’à l’heure du repas.
« Le temps de régler une affaire importante. »
Elle parle sûrement de Randa. Elle n’est peut-être pas encore venue alors.
Je vais avec quelques camarades dans la classe de CM2.
La maitresse vient chercher plusieurs d’entre nous, l’une après l’autre. Je comprends qu’elle ne cible que les filles du groupe d’Angèle.
Elle m’appelle, voici mon tour.
Mme Senon
« Fatima, est-ce que tu as remarqué que Randa n’allait pas bien en ce moment ? »
Elle me répond par l’affirmative.
« Il semblerait qu’elle soit isolée et embêtée par plusieurs élèves de l’école. »
Elle m’explique qu’elle n’a pas su résister à l’influence d’Angèle, qu’elle a honte d’avoir agi ainsi.
« Est-ce que tu aurais une idée pour aider Randa à aller mieux ? »
Elle me propose d’aller jusqu’à chez elle, le matin pour l’accompagner et venir ensemble à l’école.
J’enchaine les entretiens. Tout le groupe de filles concernées y passe. Ne les ayant pas prises sur le fait, il m’est difficile de les punir directement. Et je ne suis pas certaine que ce serait utile, au contraire cela pourrait être contre-productif. Certaines risqueraient de vouloir se venger sur Randa à l’école ou à l’extérieur.
J’essaie donc de leur faire prendre conscience du mal-être profond de Randa, mal-être engendré par leurs comportements. Je tente de les impliquer dans le potentiel mieux-être de leur camarade.
Pas certaine que cela fonctionnera. En tout cas, j’ai prévenu tous les adultes de l’école de la problématique rencontrée par Randa afin que chacun d’entre eux puisse être attentif à cette situation qui doit s’arrêter impérativement.