Enfer d’école : vendredi

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Mme N’Moga

Mme Senon m’a appelée hier soir pour m’expliquer qu’une camarade se proposait de venir chercher Randa ce matin pour effectuer le trajet ensemble jusqu’à l’école. Il m’a fallu la convaincre d’accepter. Il semblerait que la petite Fatima soit une des plus modérées du groupe et Randa m’a dit qu’elle lui a plusieurs fois souri. Je crois que c’est ce qui a permis de faire pencher la balance du côté de l’acceptation.

Le carillon de l’entrée retentit. Je sens ma fille particulièrement tendue et inquiète. Je le suis également.

J’ouvre. Fatima est bien là avec ce grand sourire rassurant. Je serre fortement ma fille dans mes bras et la pousse vers la sortie. Elle jette un regard vers moi, espérant sans doute que je la rattrape à la dernière minute. Ce n’est pas l’envie qui m’en manque, mais je dois aussi être forte pour permettre à ma fille d’avancer. Elle s’en va avec sa camarade sans lui dire un mot. Je ne peux pas m’empêcher de la suivre de loin pour m’assurer que le trajet se déroule sans encombre. Malgré les propos encourageants de son enseignante, je crains que cet accompagnement soit un traquenard pour embêter Randa.

Mme Senon

Mme N’Moga a réussi à persuader sa fille de venir à l’école. Je ne sais pas comment elle a fait. Elle est remarquable. Je vois Fatima et Randa arriver au loin et s’approcher petit à petit. Au premier abord, on dirait deux copines sur le chemin de l’école. En regardant de plus près, aucun mot, aucun regard n’est échangé, elles avancent, regardant chacune droit devant. Au loin, il me semble apercevoir Mme N’Moga.

Laisser sa fille partir pour un lieu où elle a tant souffert n’a pas dû être facile pour elle non plus. Je sens que cette journée et les prochaines vont être très importantes. Il va falloir à la fois que je sois très attentive à la situation de Randa mais sans focaliser mon attention totalement sur elle pour qu’elle ne se sente pas oppressée. Un vrai travail d’équilibriste. Je vais essayer de rattraper mes erreurs de ces dernières semaines. Je m’en veux terriblement d’être totalement passée à côté de ce harcèlement. J’ai beau tenter de me déculpabiliser un peu en me rappelant que le harcèlement a ceci d’insidieux que chacune des brimades prise séparément peut paraitre anodine. Mais rien n’y fait, c’est de ma faute. Je suis sa maitresse. J’aurais dû me rendre compte de cette accumulation de maltraitance. À moi de tout faire maintenant pour que cette situation s’améliore.

Fatima

Mme Senon nous ouvre la porte de la cour. Voici le signal du début de la récréation. La première avec Randa depuis la mise au point de la veille. La maitresse n’a puni personne. Pourtant je crois qu’on l’aurait bien mérité. Nous avons beaucoup parlé dans le groupe d’Angèle des propos que nous a tenus Mme Senon. Je crois que personne n’avait réalisé à quel point notre comportement affectait Randa. Nous prenions tout ceci pour un jeu qui nous faisait bien rire. Nous ne voyions pas plus loin que cela, sans mesurer les conséquences de nos actes.

Mon accompagnement de ce matin est une demi-victoire (ou un demi-échec selon le point de vue d’où on se place). Randa est venue à l’école et sans faire de crise à sa mère. Par contre, elle n’a pas desserré la mâchoire de tout le trajet.

Je ne sais pas comment Angèle va réagir. Elle m’avait rappelé mardi quand j’avais tenté d’aller voir Randa. Va-t-elle accepter que j’aie des contacts avec elle. Ne risque-t-elle pas de se moquer de moi comme elle le fait pour ma camarade ? J’appréhende.

Angèle

Fatima a été surprenante hier après-midi à la récréation, après que la maitresse nous a chacune convoquée pour parler de Randa. Elle, d’habitude plutôt réservée, n’a pas hésité à prendre la parole pour nous faire réagir et expliquer que la situation devait absolument changer.

Je ne sais pas trop comment me comporter. Il est vrai que je n’ai pas été forcément très sympathique avec Randa. Mais ce qui me plait, ce n’est pas de la blesser, mais de faire rire tout le monde, d’être au centre de l’attention. Si j’arrête de me moquer d’elle, va-t-on encore me considérer ?

D’un autre côté, je n’aimerais pas être dans la peau de Randa et vivre ce que nous lui avons fait subir. Se retrouver isolée, abandonnée, je connais trop la douleur que cela représente. Et c’est moi qui suis responsable de cela.

Est-ce que je serai capable de me présenter sous un autre visage ? J’ai l’impression que je me suis enfermée toute seule dans un personnage. Je ne suis pas certaine de réussir à en sortir.

Une chose est sûre : je vais être sous surveillance étroite des adultes de l’école. Même si Mme Senon ne m’a pas ciblée directement lors de l’entretien, je ne suis pas totalement idiote. Elle doit bien avoir une idée assez précise de mon implication dans cette histoire.

Et je dois reconnaitre que je n’ai pas choisi le meilleur rôle.

Je suis complètement perdue, je ne sais pas comment me comporter que ce soit avec mon groupe de copines ou avec Randa.

Randa

Angèle ne m’a pas encore joué de mauvais tour aujourd’hui. Pas d’insulte ni de moquerie non plus. Je ne me rappelle même plus depuis combien de temps cela n’est pas arrivé. J’ai l’impression qu’elle m’ignore. Cela tombe bien, je ne me sens pas prête à lui adresser la parole. La douleur est trop importante. Quand je la croise, mon rythme cardiaque s’accélère toujours. Je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qu’elle va me faire subir. Pour le moment, rien. Mais c’est plus fort que moi, le stress et l’inquiétude sont bien présents. Et la journée ne fait que commencer. Elle est tout à fait capable de passer inaperçue pendant quelques heures puis, soudainement, frapper à nouveau. Qui sait quel mauvais coup elle peut faire ?

Je sens le regard des adultes sur moi quasiment en permanence, surtout en récréation. Je trouve cela pesant de les savoir toujours aux aguets mais également très rassurant de me sentir ainsi sous protection. Angèle va avoir plus de difficulté à m’embêter ainsi.

Certaines filles de la classe sont venues me voir pour me proposer de jouer avec elles. Après plusieurs refus, j’ai fini par accepter. Pourquoi veulent-elles que je participe à leurs activités ? Est-ce une demande de la maitresse ? Ou bien de la pitié de leur part ? Ou alors certaines qui auraient compris à quel point leur attitude m’a affectée ?

Aucune idée de comment se dérouleront les prochains jours. Je les envisage moins pires que ces dernières semaines. Mais je ne vois pas de raison pour que le ciel devienne d’un coup tout bleu. Je dirais plutôt que je passe de la nuit noire à un horizon grisâtre. Peut-être que cette école ne sera plus un enfer.


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