Le squelette mystérieux
Deuxième aventure de Zélina et Isirio, les enquêteurs de l’Agence Courgette et Clavier.
Après une première aventure où ils ont dû retrouver un doudou, les voici face à un squelette étrange.
Le squelette mystérieux
Zélina
Deux semaines, deux semaines déjà que la rue du Moulin est fermée. Depuis que le chantier de construction du futur accueil intergénérationnel a commencé. Le projet est séduisant, un même lieu qui offrira des places de crèches pour les tout-petits, le centre de loisirs pour les écoliers et un club pour les plus anciens. Mais en attendant, en ce lundi matin, avec Isirio, nous sommes de nouveau obligés de faire un détour pour nous rendre à l’école. Au lieu de passer tout droit, nous devons prendre la rue du Marronnier comme si nous voulions aller prendre le bus. Et juste avant l’arrêt nous bifurquons sur la rue de la Comunautile pour rejoindre notre trajet ordinaire et arriver à l’école. Sept minutes de plus pour arriver à destination. En soit, ce n’est pas un drame, mais vu que nous avons la fâcheuse habitude d’arriver juste avant la fermeture de la grille, ce changement d’itinéraire ne nous arrange pas vraiment. Je reconnais que c’est plus de ma faute que celle d’Isirio. Lui est plutôt matinal, il ne peut s’empêcher de prendre le temps, chaque matin, de passer de longues minutes dans son jardin. Ensuite, il vient jusque chez moi, ce qui est très rapide comme nous sommes voisins. Et là, il est souvent obligé de m’attendre vu les difficultés que j’ai à me réveiller. Je me dis souvent que je devrais me coucher plus tôt la prochaine fois. Mais c’est plus fort que moi, quand je suis prise dans un projet, je n’arrive pas à m’arrêter. En ce moment, j’utilise ma graveuse laser pour faire de jolies étiquettes pour le potager d’Isirio. Et vu le nombre de plantes différentes qu’il possède, cela me prend un peu de temps.
Le chantier risque de durer un moment, ils viennent juste de raser ce qui restait de la vieille maison du père Paplorey qui est décédé le mois dernier. Les pelleteuses sont entrées en action pour terrasser le terrain et creuser les fondations. Le bruit est quasiment permanent et s’entend à plusieurs centaines de mètres à la ronde. Notre école n’étant pas très éloignée nous l’entendons même porte et fenêtres fermées. Ce brouhaha ne nous aide pas à nous concentrer. Malgré ce fond sonore, Mme Avrile, notre enseignante réussit à nous présenter le nouveau livre que nous allons étudier pendant les prochaines semaines : « Le Grand Voyage ».
Isirio
En plein milieu de la récréation, je fais remarquer à Zélina qu’il n’y a plus de bruit. Les pelleteuses se sont tues. Ils ont sûrement fini de creuser les trous pour les fondations de cette construction. Les camions toupies devraient donc bientôt défiler devant l’école pour livrer le béton et laisser couler leurs premières vagues de ciment.
La fin de la matinée s’écoule, je jette régulièrement un œil, et même souvent les deux, par la fenêtre à côté de ma table. Mais je ne vois rien passer à part la camionnette de la ferme du hameau du Grand Fleury qui apporte son approvisionnement quotidien à la supérette du village. Ses gérants essaient au maximum de proposer à leurs clients des produits locaux. Même si parfois leurs efforts se heurtent à la mauvaise foi de certains qui ne comprennent pas pourquoi les produits vendus ne sont pas tous identiques et pas disponibles toute l’année. L’autre jour, un petit bonhomme râlait car tous les œufs de la boite n’avaient pas la même couleur et comble du malheur, une plume était collée sur l’un d’entre eux. J’ai hésité à lui expliquer d’où venait un œuf…
À 11h45, à la fin de la classe, comme tous les midis, avec Zélina, nous rentrons manger chez nous. Au moment d’emprunter notre déviation imposée, nous remarquons, dans la rue du Moulin, une agitation inhabituelle ou plutôt une agitation différente de celle de ces derniers jours. Le bruit des machines et l’activité des ouvriers ont fait place au bruissement d’un groupe de curieux, au milieu duquel nous distinguons madame la maire. Ils semblent tous fixer une partie du chantier.
Rongés par la curiosité, nous bravons l’interdiction de passer, indiquée par un gros panneau à l’entrée de la rue. Après tout, ces adultes sont bien là-bas alors qu’ils ne font pas partie des ouvriers. Nous nous approchons alors aussi discrètement que possible.
Zélina
« Alors là c’est stupéfiant !
— Comment cela a-t-il pu atterrir là ?
— À qui cela appartient-il ? »
Toutes ces questions proviennent du groupe d’adultes et nous parviennent au fur et mesure que nous approchons.
Isirio remarque tous les arbres coupés sur le chantier. Des dizaines de troncs gisent au sol. Vu la circonférence de certains, ils ne devaient pas être tout jeunes. Malgré la promesse municipale de replanter autant d’arbres que ceux qui ont été tronçonnés, Isirio semble bien triste face à un tel massacre.
Nous réussissons à nous faufiler et là, au milieu du trou, des os, plein d’os, des gros, des moyens, des petits.
La maire, les membres du conseil municipal, le contremaitre et le chef de chantier continuent à échanger leurs questionnements.
« À quel animal appartiennent-ils ?
— Un cheval ?
— Une vache ?
— Un dinosaure ?
— Et si on demandait l’aide d’un paléontologue ? me permets-je d’interrompre. »
Tous les regards se retournèrent vers nous.
« Mais qui êtes-vous ? demande la maire
— Agence Courgette et Clavier : les deux plus grands détectives de votre ville, répondons-nous, en nous présentant. »
Isirio
Bien que surprise, Mme Germine ne peut s’empêcher de rigoler à la proposition que nous venons de lui faire. Après quelques minutes de conciliabule avec ses collègues du conseil municipal, elle s’adresse à nous :
« Votre audace me plait et votre idée est loin d’être bête. Le conseil municipal manque cruellement de temps en ce moment. Puisque vous prétendez être nos plus grands détectives, je vous confie donc pour mission de résoudre ce mystère. Je vous laisse jusqu’à la fin de la semaine pour découvrir à qui appartiennent ces os et pourquoi ont-ils atterri ici. Lundi le chantier recommencera. »
Je suis à la fois excité d’avoir notre première enquête confiée officiellement et à la fois stressé face au défi qui nous attend. Nous n’avons que peu de temps devant nous, à peine une semaine. Il faut maintenant que nous dégottions un paléontologue qui accepte d’étudier gratuitement ces ossements. En effet, même si nous avons eu la témérité de nous proposer pour résoudre ce mystère, nous n’avons tout de même pas eu le culot de demander à être payés pour notre première enquête. Nous la menons à titre gracieux. Et puis nous devons maintenant être à la hauteur de la réputation que nous prétendons avoir.
Zélina
Une fois rentrés chez moi, nous filons dans mon atelier et nous nous mettons directement à la recherche d’un paléontologue. Heureusement qu’il y a Internet pour nous aider. Malgré tout, après plusieurs minutes à essayer différents mots clés dans mon moteur de recherche préféré, il faut se rendre à l’évidence : trouver un paléontologue dans notre secteur n’est pas une tâche si facile que cela. Nous identifions trois personnes dans notre région. Isirio note les noms et les numéros de téléphone trouvés dans l’annuaire en ligne. J’étais prête à appeler le premier nom de la liste mais Isirio m’arrache l’appareil des mains.
« Tu préfères appeler toi-même ? lui demandé-je.
— Non, non, mais tu vas leur raconter quoi ? On ne répète pas un peu avant ?
— Ne t’inquiète pas, je vais improviser. Et puis comment un paléontologue digne de ce nom pourrait résister à l’appel d’un tas d’os mystérieux. »
Mon enthousiasme est très vite retombé. Le premier nom de la liste ne me prend pas au sérieux, me rétorque qu’il n’a pas de temps à perdre avec un petit plaisantin. Je lui rétorque que, de toute manière, je suis bien trop sérieuse pour travailler avec une personne qui ne sait pas faire la différence entre UN plaisantin et UNE plainsantine. Et je lui raccroche au nez.
Le deuxième me dit qu’il est trop occupé pour analyser de nouveaux ossements. Il doit absolument terminer sa thèse sur le passage à la bipédie chez les Togomos. Je tombe pour finir sur le secrétaire de la troisième et dernière personne de la liste. Il nous indique qu’elle est actuellement sur un chantier de fouille à 2 500 kilomètres de là pour plusieurs semaines.
« Eh bien je crois que notre enquête commence mal, analyse mon ami
— Allons faire nos devoirs, cela nous changera les idées »
Isirio
J’ai retourné le problème dans tous les sens et je crois avoir trouvé une solution pour recruter un paléontologue. Je suis prêt encore plus tôt que d’habitude. Je n’ai tout de même pas sacrifié le passage quotidien dans mon potager. Ce matin, mes premières tomates poires commencent à mûrir. Je devrais pouvoir en déguster quelques-unes d’ici la fin de la semaine.
J’arrive avec cinq minutes d’avance devant la maison de Zélina. Je suis assez impatient de partager mon plan. Après quelques instants, elle me rejoint :
« ‘lut !
— Ouh là, tu n’as pas l’air bien réveillée.
— Ne m’en parle pas Isirio, j’ai passé tout la nuit à combattre des squelettes de tout poil. Je crois que cette enquête me perturbe un peu. Pas de cauchemar de ton côté ?
— Rien du tout. Et rassure-toi, j’ai trouvé la solution.
— Vas-y raconte, me presse-t-elle. »
Je lui expose donc mon idée. Puisque les paléontologues que nous avons appelés hier ne nous ont pas pris au sérieux ou semblaient avoir mieux à faire, il va falloir aiguiser leur curiosité, susciter leur envie, qu’ils aient l’impression qu’il n’y a pas découverte plus intéressante que nos ossements à étudier en ce moment sur la planète, enfin au moins dans notre contré. Et quoi de mieux qu’un article présentant la découverte de notre village sur le plus important site internet de paléontologie : PaleoPassion.
« Nous avons besoin de tes talents de hackeuse Zélina. Tu serais capable de t’introduire sur le site de PaleoPassion ?
— Je peux toujours tenter mais explique-moi en détails pour quelle raison devrais-je le faire.
— Le principe est simple. Ce site regroupe toutes les informations et recherches en paléontologie. Si tu arrives à publier un article sur nos ossements mystérieux qui vante l’originalité de la découverte de notre village alors je suis persuadé que cela éveillera la curiosité d’un de ces scientifiques qui ne manquera pas de se précipiter ici. »
Zélina
Après le diner, je m’attelle au défi lancé par Isirio. Je passe en revue les différents contributeurs du site. Je note leur pseudo. Et puis je lance un script pour tester des combinaisons entre ces utilisateurs et le listing des mots de passe les plus utilisés. Il y a bien dans le lot une de ces personnes qui aura utilisé un mot de passe bidon avec un niveau de sécurité proche du néant. Je laisse le script tourner pendant que je révise la poésie qui est à apprendre pour demain. Au bout de 18 minutes, la cucaracha retentit. C’est la musique que j’ai programmée en cas de recherche fructueuse. Je ne pensais pas réussir aussi vite. Je teste immédiatement l’identifiant et le mot de passe trouvés. Me voici connecté en tant que Pr Meusk. Il a beau être un professeur, il utilise comme mot de passe une combinaison de lettres très basique « azerty », les six premières lettres du clavier. J’utilise donc son compte et je rédige l’article que nous avons préparé.
« Découverte remarquable à Togomoville. Un gisement d’ossements inconnus a été mis à jour. Qui sera le premier chanceux qui identifiera ces os et pourra, pourquoi pas, léguer son nom à une nouvelle espèce inconnue ? »
Nous avons un peu enjolivé la vérité, mais il faut savoir donner envie pour espérer avoir la visite d’un paléontologue.
Afin de rendre l’annonce plus crédible, j’ai également créé une adresse mail de contact spécifique.
J’envoie un message à Isirio pour le tenir au courant de l’avancée de l’enquête.
Il ne nous reste plus qu’à croiser les doigts que quelqu’un morde à l’hameçon.
En attendant, au lit !
Isirio
Je n’ai beaucoup dormi cette nuit. Tellement excité de savoir si un paléontologue répondra à notre annonce. À moins que ce soit ma mauvaise conscience qui m’ait perturbée. Inciter ma meilleure amie à usurper une identité pour poster une annonce très enjolivée, ce n’est pas l’action dont je suis le plus fier. Mais en refusant de nous répondre directement, ces scientifiques ne nous ont pas trop laissé le choix. Toujours est-il que j’ai eu beau déposer quelques gouttes d’huile de lavande maison sous mon oreiller pour m’aider à trouver le sommeil, je n’ai pas arrêté de me retourner dans tous les sens.
Nous sommes déjà mercredi. Il ne nous reste plus beaucoup de jours avant que les travaux ne redémarrent. En attendant d’avoir un paléontologue sous la main, nous avons décidé de profiter de notre journée sans école pour retourner étudier les ossements directement sur place. En tant qu’enquêteurs, Mme Germine nous a autorisé à aller sur le chantier après s’être assurée auprès du contremaitre qu’il ne présentait pas de danger.
Nous voici donc face au sol béant avec nos ossements en vrac au milieu de la terre et autres cailloux. Évidemment, impossible de toucher quoi que ce soit sans l’accord et la supervision d’un paléontologue. Mais notre oiseau rare se fait attendre et nous commençons à perdre patience.
Nous observons les différents ossements sous toutes les coutures en espérant réussir à identifier de quel type de dinosaure il s’agit. J’ai apporté différents livres documentaires sur le sujet pour essayer de comparer. Mais il faut se rendre à l’évidence : nos compétences en ce domaine approchent le zéro absolu.
Zélina
En désespoir de cause, espérant avoir un autre point de vue sur le squelette, je grimpe sur le monticule de terre déblayé par la pelleteuse. Rien !
Je change alors radicalement de position, je redescends, je m’allonge sur le sol et scrute sans beaucoup de conviction notre mystère.
« Regarde ! Un truc rouge ! »
Isirio me rejoint précipitamment et se tapisse lui aussi la joue contre l’herbe pour partager ma découverte. Nous nous décalons progressivement en rampant sur le sol tels deux petits orvets afin d’avoir le meilleur angle de vue possible.
« Ton truc, on dirait un morceau de tissu » observa mon ami.
Malheureusement, impossible de nous en approcher plus sans risquer de toucher, déplacer ou abimer des os.
Il est de plus en plus urgent de dégoter un paléontologue.
Avant de retourner vérifier si quelqu’un a répondu à notre petite annonce, nous décidons de prendre en photos notre squelette décomposé sous toutes les coutures. Nous espérons pouvoir comparer avec d’autres ossements sur internet. Nous aurons peut-être plus de résultats qu’avec les livres documentaires rapportés par Isirio.
Isirio
Arrivés chez Zélina nous nous dirigeons tout droit vers l’atelier qu’elle s’est constitué dans la grange collée à mon potager. Elle réveille son ordinateur principal et se connecte à la messagerie créée pour l’occasion.
« Victoire ! Nous avons cinq réponses ! » s’exclame-t-elle.
Je ne peux pas m’empêcher de me coller à elle pour les voir de plus près.
Après avoir lu le contenu de ces courriels, notre enthousiasme est un peu retombé. Un seul souhaite venir directement à condition qu’on lui paie l’avion en première classe jusqu’ici. Nous mettons de côté sa proposition. Notre budget proche du néant ne nous permet pas d’accéder à sa requête. Parmi les autres, aucun d’entre ne souhaite dans un premier temps se déplacer. Ils veulent tous faire leurs premières analyses à distance à partir de photos. Nous sélectionnons quelques clichés parmi ceux que nous venons de faire. Pour mettre toutes les chances ce notre côté nous les envoyons à nos quatre correspondants. Nous verrons bien s’ils identifient le même dinosaure.
Je rentre chez moi et m’endors confiant. Avec quatre paléontologues qui examinent notre mystère, nul doute que nous aurons bientôt le nom de notre bestiole préhistorique.
…
Une lumière intense me réveille en plein sommeil. Je referme les yeux, mais elle m’éblouit depuis la fenêtre de ma chambre. Je jette un coup d’œil à mon réveil : 2h17. J’ai beau avoir le cerveau bien embrumé, mes quelques neurones déjà actifs réalisent que cela ne peut donc pas être le soleil à cette heure-ci. Ne croyant pas non plus aux extra-terrestres, il ne s’agit pas non plus d’une soucoupe volante avec des petits êtres bleus et verts qui viennent pour m’enlever. Mais qui peut bien s’amuser à pointer un projecteur en direction de ma chambre en pleine nuit ? Curieux, mais pas totalement rassuré je me colle le long du mur et jette un coup d’œil fugace par la vitre. Zélina ! Mon amie est là, dehors, en train de manipuler un projecteur dont elle fait passer les rayons à travers différentes loupes pour intensifier la lumière et la diriger vers ma chambre. Je me montre au milieu de l’encadrement de ma fenêtre en plein dans halo lumineux. Elle éteint sa source lumineuse et me fait signe de la rejoindre.
Une fois de plus Zélina s’est montrée particulièrement astucieuse. Ainsi, personne d’autre n’est réveillé dans la maison. Pas comme l’envoi de cailloux sur la fenêtre qu’on voit dans tous les films mais qui réveillerait le plus dormeur des koalas.
J’ouvre la fenêtre et descends, comme souvent, descendant les branches du vieux cèdre du Liban qui jouxte ma chambre.
Zélina
Une fois que ses pieds ont atteint la terre ferme, Isirio me suit dans mon atelier. Il n’a jusqu’ici posé aucune question quant à la raison de ce réveil brutal en pleine nuit. Une fois installés à mon bureau, je lui explique tout :
« Désolée de ne pas t’avoir laissé finir ta nuit, mais nous venons de recevoir une réponse !
— Tu as veillé jusqu’à avoir une réponse ?
— Non, je m’étais couchée mais avais relié ma messagerie à mon système de réveil1. Dès qu’un mail d’un de nos quatre paléontologues arrive, le mécanisme se met en route et me délivre des bras de Morphée.
— Et alors que dit ce courriel ?
— Aucune idée, je voulais le découvrir avec toi. »
Avec une certaine fébrilité, j’ouvre ma messagerie électronique. Et là le choc, nous relisons plusieurs fois le mail :
« Ces ossements n’ont rien de préhistorique, ce sont ceux d’une girafe. Merci de ne pas me faire perdre plus de temps avec ces bêtises ! »
Dépités, nous sommes totalement dépités à la lecture de cette première réponse. Même si nous nous raccrochons à l’espoir d’avoir des réponses différentes d’autres scientifiques, ce retour semble catégorique et ne pas laisser la place au doute.
Nous retournons donc nous coucher, Isirio escaladant en sens inverse son arbre. Avant de me quitter, il me questionne (ou peut-être est-ce une interrogation pour lui-même) :
« Si c’est vraiment une girafe comment est-elle arrivée ici ? Et depuis quand est-elle là ? »
Isirio
En rejoignant Zélina devant chez elle pour partir à l’école avec nos yeux qui trahissent notre courte nuit, elle me dit avoir reçu un courriel d’un deuxième paléontologue. Le contenu est proche du premier message obtenu et confirme que nous avons affaire à une girafe.
Voyons le côté positif de cette nouvelle : nous n’avons plus besoin de prendre de précautions particulières avec ces ossements.
Pendant la pause déjeuner, nous rentrons rapidement chez nous nous préparer un pique-nique express. Zélina prépare des sandwichs pendant que je récupère un concombre, des fraises et des tomates cerise au potager. J’accompagne le tout d’une boisson avec un sirop de menthe maison. Nous nous rendons sur le chantier tout en commençant notre repas. Notre objectif : dégager certains ossements pour récupérer le tissu rouge observé hier. Peut-être nous aidera-t-il à comprendre ce que le cadavre d’une girafe fait ici, chez nous, à Togomoville. Même si le type de bestiole semble avoir été identifié il nous reste à découvrir pourquoi et depuis quand cette bête au long coup est enterrée. Certains os, plus gros que les autres nous obligent à nous y prendre à deux, avec nos deux mains, délaissant par la même occasion nos sandwichs, pour les soulever.
Nous ne les reposons pas n’importe où pour ne pas les perdre ou les abimer car têtus comme nous sommes, nous allons essayer de reconstituer le squelette pour être totalement certains qu’il s’agit bien d’une girafe.
Zélina
Le temps nous est compté. Dans quelques dizaines de minutes, il faudra retourner en classe. Heureusement, nous venons de déplacer le dernier gros os qui nous empêchait d’accéder au tissu rouge. Nous le prenons avec délicatesse. Il ne semble pas tout jeune. Les vers et les autres petites bestioles dans la terre ont bien commencé leur travail de décomposition.
Je tiens l’étoffe du bout des doigts pendant qu’Isirio s’attelle à le déplier.
Nous découvrons alors deux lettres « L G »
Nouveau mystère ou nouvel indice ? Difficile à dire pour le moment.
Dans tous les cas, il est l’heure de remballer nos affaires et de retourner voir Mme Avrile et nos camarades pour notre après-midi de classe.
Sur le chemin, Isirio me questionne :
« On n’est pas beaucoup plus avancé avec notre girafe et son chiffon rouge brodé. As-tu une petite idée de ce que nous pourrions faire ?
— Honnêtement, mon cerveau est tout aussi avare de pistes que le tien. On pourrait profiter de notre panne d’inspiration pour aller faire un premier compte-rendu à Mme la Maire pour lui faire part de nos avancées.
— Riche idée, nous irons après la classe, ce soir. Ainsi je n’aurais complètement l’impression de perdre mon temps. Pour le moment, hâtons-nous. Mme Avrile va finir par changer de ton si nous arrivons de nouveau en retard. »
Isirio
Dès 16h30, nous franchissons rapidement les grilles de l’école, direction la mairie.
Arrivés à l’accueil nous nous annonçons
« Agence Courgette et Clavier, nous souhaitons voir Mme Germine.
— Mme la Maire a mieux à faire que de perdre son avec deux petits plaisantins, rétorque, déconcerté le secrétaire.
— C’est à propos des ossements du chantier, insiste Zélina.
— Mme Germine nous a confié l’enquête, enchéris-je. »
Face à notre détermination, l’employer municipal décroche le combiné du téléphone du standard. L’élue lui confirme nos propos.
Confus, il s’excuse du bout des lèvres de nous avoir initialement refoulés. Il nous guide jusqu’au bureau de la maire.
Mme Germine nous invite à nous assoir dans de confortables fauteuils face à elle tandis que son secrétaire s’en retourne rejoindre son poste.
Nous lui expliquons alors nos premières conclusions : le squelette qui est finalement celui d’une girafe et non d’un dinosaure, le mystère de sa présence ici et l’existence du tissu avec les lettres « L G ». Évidemment nous faisons l’impasse sur les moyens un peu limites dont nous avons usé pour obtenir certaines réponses.
« Toutes mes félicitations, vous avez vraiment bien avancé en si peu de temps. Vous êtes à la hauteur de la réputation que vous prétendez avoir », nous complimente-t-elle.
Nous essayons de ne pas trop montrer nos émotions, des enquêteurs doivent savoir garder leur sang-froid en toute circonstance, mais nous ne pouvons pas nous empêcher de rougir de plaisir et de fierté mêlés.
« Et si vous alliez rendre visite à Mme Louisette, la doyenne du village ? Peut-être aura-t-elle des réponses aux questions qui vous restent », ajoute-t-elle.
Si avec les premiers compliments nous aurions pu commencer à avoir la gosse tête, cette dernière proposition nous l’aurait vite dégonflée. Quelle bonne idée Mme Germine vient-elle d’avoir ! Comment, alors que nous nous prétendons détectives, n’y avons-nous pas pensé par nous-mêmes.
Demain, nous nous dirigerons donc vers l’impasse du puits où demeure la vieille Louisette. En attendant, allons nous occuper de nos devoirs.
Zélina
« Que me vaut le plaisir de votre visite jeunes gens ? »
Perchés sur tabourets de la cuisine, bien moins confortables que les fauteuils de la mairie, nous voici en train de détailler notre enquête à Mme Louisette.
«… une girafe ? nous interrompt-elle. Cela fait bien longtemps que je n’en ai pas vu une à Togomoville !
— ‘Bien longtemps’, vous voulez donc dire que vous en avez déjà vu une ici, la questionné-je, impatiente d’en savoir plus.
Je sens qu’Isirio à côté de moi trépigne également. Lui qui est si calme d’habitude. Mais il doit sentir lui aussi qu’on tient peut-être là l’explication à toute notre enquête.
— Oui, cela remonte à mon enfance. Tous les ans quand j’étais petite, un cirque venait au village. Au printemps, je pense. En tout cas, il faisait beau mais pas trop chaud. Ce n’était pas un grand cirque avec un chapiteau majestueux comme on peut en voir à la télévision. Non, il était tout petit. Il n’y avait qu’une famille : les parents et leurs enfants. Ils stationnaient dans le jardin des parents du père Paplorey. Je crois que c’étaient des cousins éloignés. Ils n’avaient même pas de tente pour présenter leur spectacle. Ils s’installaient en plein air. Ils enchainaient à eux quatre les jongleries et les numéros de clown. Et le moment que nous attendions tous avec beaucoup d’impatience et d’émerveillement dans les yeux, c’était l’arrivée de Caméléo, la girafe du cirque. Je me rappelle encore de son nom comme si c’était hier. Ils n’avaient pas d’autres animaux dans le cirque si ce n’est un petit caniche noir qui passait parmi nous à la fin spectacle avec un vieux chapeau dans la gueule pour récolter quelques pièces de monnaie.
Isirio
« Notre squelette serait donc Caméléo, la girafe de votre enfance ? Demandé-je.
— Sûrement. La dernière fois que je l’ai vue, c’était vers mes dix ans. Depuis, plus aucune girafe ni aucun cirque n’a mis les pieds dans notre village. Je pensais qu’ils avaient trouvé des endroits plus intéressants pour se produire.
Pour être certain de son identité, je sors de mon sac l’étoffe rouge.
— Est-ce que ce tissu vous dit quelque chose ?
— Oh oui, répondit-elle émue, le L et le G, les initiales du cirque, je me souviens, Luigi Giovanni. Caméléo le portait sur dos à chaque représentation. Le contraste entre la couleur du tissu et le jaune de sa peau était remarquable. Vous savez comment est-elle morte ?
— Aucune certitude. Mais vu qu’elle a été enterrée avec son habit de scène et vu l’attachement que semblait lui porter cette famille de saltimbanques, on peut supposer qu’elle est morte de vieillesse ou de maladie. En tout cas, nous n’avons retrouvé aucun os brisé. »
Nous remercions chaleureusement notre hôte qui semble encore perdue dans ses souvenirs, replongée en enfance, quand nous la quittons.
Zélina
Nous profitons de la réunion du conseil municipal du samedi matin pour venir rendre compte des conclusions de notre enquête.
Contrairement à jeudi, cette fois-ci, le secrétaire nous accueille sans aucune difficulté et nous introduit directement dans la salle du conseil.
Durant notre exposé, nos auditeurs sont très attentifs. Ils échangent quelques phrases à voix basse, propos totalement inaudibles d’où nous sommes.
Lorsque les derniers mots sortent de la bouche d’Isirio et puisque je n’ai plus rien à ajouter, Mme Germine prend la parole.
« Zélina, Isirio, merci pour toutes ces explications. Pouvez-vous sortir quelques instants afin que je puisse m’entretenir avec mes collègues ? »
Nous sortons de la pièce un peu déroutés. Pourquoi ont-ils besoin de parlementer sans nous ? Cette demande nous inquiète.
Curieuse, je colle mon oreille contre la porte pour essayer de saisir la teneur de leurs propos. Isirio n’ose pas m’imiter, mais il est curieux d’en savoir plus :
« Que racontent-ils ? me questionne mon ami
— Malheureusement leur porte a un très bon isolant phonique ! Je devine qu’il y a des personnes en train de parler, mais impossible de saisir la moindre bribe de leur conversation. »
Nous n’avons pas besoin d’attendre très longtemps. À peine cinq minutes après, la porte s’ouvre, Mme Germine nous prie d’entrer et prend la parole :
« Le conseil municipal vient de délibérer. Suite à votre enquête, nous vous proposons de déplacer temporairement tous les ossements dans cour de la mairie. Vous pourrez alors tranquillement reconstituer le squelette. À la fin des travaux, Caméléo trônera dans le jardin du nouveau bâtiment que nous avons décidé de baptiser « l’accueil intergénérationnel de la girafe ». »
Nous ne pouvions pas rêver de meilleures décisions. Nous remercions les élus et les laissons poursuivre leurs délibérations.
« Isirio, voici une nouvelle énigme résolue par l’agence Courgette et Clavier ! »
Proposer à la fin la recette du sirop de menthe.
1Pour en savoir plus sur le dispositif de réveil mis au point par Zélina, lis leur première aventure « Doudou volé »