Enfer d’école : lundi

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Mme N’Moga

— Randa, avance plus vite, on va être en retard.

— Je ne veux pas y aller !

Chaque jour c’est de plus en plus dur. Randa freine de plus en plus pour aller à l’école.

Je la traine depuis la voiture, jusqu’à la grille de la cour de récréation. Certains parents détournent les yeux, gênés par la situation. Plusieurs nous observent sévèrement. Je sens leur jugement à travers leurs regards. J’imagine leurs propos intérieurs.

« Quelle môme mal éduquée ! »

« Elle devrait prendre des cours pour gérer sa fille ! »

Mais bon sang, je ne suis ni laxiste, ni intransigeante. Jusqu’à ces dernières semaines tout allait bien avec Randa. C’était une bonne élève toujours volontaire pour aller à l’école et retrouver ses copines. Mais depuis une quinzaine de jours, je ne comprends plus rien, je ne sais plus comment fonctionne ma fille.

Nous passons devant la mère de Mehdi qui me propose gentiment de l’aide. Par fierté je refuse. Et puis, j’ai tout essayé dernièrement. Que pourrait-elle réussir que je n’ai pas déjà tenté ? Je suis sa mère. Je l’ai vu grandir. Je suis présente à ses côtés chaque jour de sa vie. S’il y a bien quelqu’un qui peut l’aider, c’est moi. Je la connais mieux que personne. Enfin, je croyais.

Nous voici enfin arrivées devant la grille. Heureusement, sa maitresse, Mme Senon est présente. Elle a pris l’habitude de nous attendre. Même si elle n’est pas de service, elle vient exprès pour prendre le relai et faire entrer Randa dans l’école.

« Bonjour Mme N’Moga ! Bonjour Randa ! » dit-elle le plus naturellement du monde comme si notre arrivée était normale.

Je lâche un « Merci » et je m’éclipse, épuisée physiquement mais surtout nerveusement par ces quelques minutes qui me paraissent si longues.

Mme Senon

Mme N’Moga me transmet sa fille.

« Allez Randa, on rentre en classe. Tu vas rejoindre tes camarades. Tu pourras jouer avec tes copines à la récréation. »

Mes mots résonnent dans le vide. Randa ne répond rien. Ces derniers jours, j’ai l’impression de revivre la même scène chaque matin. Mme N’Moga tire sa fille jusqu’à la grille de l’école. Une fois qu’elle me la confie, Randa ne résiste plus. Elle devient comme une poupée de chiffon, sans énergie ni motivation manifeste. Son visage reste fermé, triste. Aucune de mes paroles ne réussit à inverser cet état. J’ai l’impression d’avoir déjà tout essayé…

L’humour. Mes blagues la laissent de marbre, pas le moindre sourire même pour se moquer de moi.

L’autorité. J’ai tenté de me fâcher pour la faire réagir. En vain.

La compassion. Je l’ai questionnée sur d’éventuels problèmes à la maison, si elle voyait toujours bien son père un week-end sur deux. A priori rien de problématique non plus de ce côté-là.

Une chose est certaine : j’ai perdu la Randa joyeuse et pleine de vie qui était un véritable moteur pour la classe.

Angèle

Mme Senon rentre en classe suivie par Randa, l’intello. J’ai fini juste à temps. J’ai pu tranquillement faire le tour de sa case. Au-dessus de ses cahiers, parfaitement alignés, trônait sa trousse de crayons de couleurs. Je l’ai totalement vidée. J’ai remplacé chaque crayon par une brindille de bois. Je sens qu’on va trop rire avec la tête qu’elle fera quand elle s’en rendra compte.

Ça ne changera pas trop de la tronche qu’elle a en ce moment. On dirait une mort-vivante qui boude. Alors que moi je fais tout pour amuser tout le monde en lui faisant des blagues. Tous les jours, plusieurs fois par jour. C’est l’éclate !

Elle n’est vraiment pas drôle cette fille. Déjà que je ne l’aimais pas spécialement avec ses airs de première de la classe qui levait toujours la main pour donner la bonne réponse. Elle cherchait quoi ? À être la chouchoute de la maitresse ?

En tout cas, elle me donne vraiment envie de continuer à l’enquiquiner. Car moi, ça m’amuse vraiment beaucoup.

Fatima

Angèle cherche encore à faire le clown plutôt que de se préparer pour travailler. Une nouvelle fois, c’est Randa qu’elle va ennuyer.

Je dois reconnaitre que moi aussi ses bêtises me font parfois bien rire. Comme jeudi dernier où elle lui a caché son cartable dans les toilettes et que Randa l’a cherché partout pendant de longues minutes avant de le retrouver.

Mais d’un autre côté, je vois bien que ces farces ne font pas toujours rire Randa. Surtout que c’est souvent elle qu’Angèle prend pour cible. Elle fait parfois semblant de rire avec les autres pour ne pas se retrouver totalement isolée. Pourtant je la sens affectée par cette situation.

Je ne sais pas trop comment réagir. J’aimerais l’aider. Mais si j’interviens ou si j’en parle à la maitresse, je risque de devenir le centre des moqueries d’Angèle et de ses copines. Je me sens démunie. Comment Randa va-t-elle réagir face à la “métamorphose” de ses crayons en brindille de bois ?

Randa

Fatima me fixe depuis que je suis rentrée en classe. Je ne veux pas qu’on me regarde. Je veux être invisible. Je ne veux pas être au centre des attentions. Je veux disparaitre.

Mme Senon commence la matinée, comme toujours, par du calcul mental. Impossible de me concentrer sur le travail proposé. Je ne peux pas m’empêcher de me demander quel mauvais tour Angèle va me jouer. Et quand je n’y pense plus, c’est ce qu’elle m’a fait subir les jours précédents qui envahit mon esprit.

« Sortez vos crayons de couleur pour compléter le coloriage magique. »

Cette nouvelle consigne de la maitresse me tire de mes pensées.

J’aime beaucoup colorier. Lire aussi. Colorier et lire sont devenus mes nouveaux doudous. Deux activités réconfortantes dans lesquelles je me réfugie. Je sors ma trousse de la case, l’ouvre et là, ils sont tous disparus, remplacés par des bouts de bois. Je sais bien qui a pu faire cela. Je la regarde discrètement, elle m’observe un grand sourire sur son visage. Un regard vers les autres élèves, ils guettent ma réaction, Certains commencent à rigoler, une partie de la classe part même en fou-rire.

« Calmez-vous, je ne savais pas que sortir ses crayons de couleur était aussi hilarant » tempère Mme Senon qui ne se rend pas compte du problème, de mon problème.

Je sens les larmes me monter aux yeux. Ma vue se trouble. Je me retiens. Je ne veux pas leur faire le plaisir de craquer en classe devant eux. Je demande à la maitresse d’aller aux toilettes.


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